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Portrait #6 : Hinfact, détecter les états mentaux des pilotes pour améliorer la sécurité des vols

S’appuyant sur les recherches en neurosciences de l’Isae-Supaero, Hinfact propose aux compagnies aériennes un assistant intelligent qui permet aux pilotes et aux instructeurs d’améliorer leurs performances. La connaissance des facteurs humains et des états mentaux des pilotes va également impacter la conception des appareils et la recherche sur la sécurité des vols. Interview de Thomas Bessière, co-fondateur et CEO d’Hinfact.
Quel est l’innovation technologique sur laquelle est basée l’entreprise Hinfact ?
Hinfact est fondée sur les bases d’un socle scientifique très fort, développé par le groupe de recherche Neuroergonomie et facteurs humain de l’ISAE-Supaero . J’ai cofondé Hinfact en 2018 avec Thibault Vandebrouck qui est CTO et directeur scientifique, ainsi qu’avec trois chercheurs qui ont créé ce groupe de recherche : Frédéric Dehais, Sébastien Scannella et Vsevolod Peysakhovich.
Ceux-ci travaillent depuis 18 ans sur l’identification de facteurs qui perturbent la performance intellectuelle (le stress, l’émotion, la fatigue, les performances de pilotage, etc.). Ils mènent des recherches sur les mécanismes neuronaux de l’erreur humaine, les états mentaux des pilotes et les moyens d’améliorer la performance et la sécurité.
Il y a en effet un certain nombre d'états neurocognitifs indésirables (errance mentale, retrait de l'effort, persévération, phénomènes d'inattention) que l’on cherche à comprendre et à objectiver. Plusieurs marqueurs physiologiques et comportementaux sont le signal d’un état neurocognitif altéré qui lui-même peut avoir des conséquences.
Comment ces états mentaux sont-ils objectivés ?
Plusieurs laboratoires au monde travaillent sur ces sujets et l’Isae-Supaero et la Nasa sont les seuls qui font des expérimentations aussi poussées directement en vol. Pour récupérer les données physiologiques des pilotes, les chercheurs utilisent des systèmes d’eye-tracking - des caméras qui permettent d’enregistrer les mouvements occulaires - ainsi que par exemple des dispositifs électroencéphalogrammes. Les expérimentations se font en vol et dans le cas de l’Isae-Supaero nous disposons de plusieurs avions équipés pour étudier les comportements et les états mentaux des pilotes. À partir de ces recherches, Thibault et moi-même, diplômés d’Isae-Supaero, nous nous sommes donnés pour mission de proposer une offre aux compagnies aériennes.
Qui sont vos clients et que leur proposez-vous ?
Nos clients et nos cibles sont les compagnies aériennes et les centres de formation indépendants. Parmi les clients que je peux citer il y a notamment l’Enac (Ecole Nationale de l'Aviation Civile). Pour nos clients nous avons développé la suite Hinsight. Hinsight Training, est utilisé par les instructeurs, via un assistant-tablette, dans n’importe quel simulateur de vol, sachant que chaque pilote doit s’entraîner sur des scenarios complexes et se former dans un simulateur entre 12 et 16h par an. Nous permettons aux instructeurs de disposer de toutes les informations sur la performance des pilotes en surveillant l’attention portée par les pilotes aux paramètres de vol. En une vingtaine d’années, en raison de l’automatisation croissante, les pilotes sont passés d’ « opérateurs de missions » à « superviseurs de missions ». La surveillance des paramètres est devenue centrale et l’attention des pilotes est extrêmement sollicitée. C’est pourquoi il faut pouvoir détecter automatiquement avec l’intelligence artificielle toutes les erreurs et les défauts de procédure. Grâce aux eye-trackers et aux données du simulateur, des centaines de paramètres sont recueillis. Nous interprétons ces données eye-tracker, nous les re-contextualisons avec toutes les autres données du simulateur et pouvons ainsi transmettre des informations et des recommandations aux instructeurs. La deuxième partie de la suite est destinée aux responsables de formation permettant d’identifier les difficultés à l’échelle du centre de formation et d’adapter les programmes de formation.
Quels sont les objectifs d’Hinfact ?
Autour de cette technologie développée pour la formation des pilotes, nous avons recensés des besoins très forts dans l’industrie. De nombreux cas d’application sont possibles notamment pour l’évaluation de l’interface homme-machine puisque notre produit objective le comportement humain grâce une interface. Hinfact peut donc être utile pour la conception des cockpits et pour les recherches en matière de sécurité des vols. C’est ce que nous proposons avec notre offre « Hinsight Design & Research ». L’entreprise est dans une phase de consolidation des produits et de conquête du marché. Nous avons été accompagnés par Nubbo et nous volons désormais de nos propres ailes, hébergés à La Cité à Toulouse.
Quels sont vos défis technologiques ?
Il nous faut être capables de gérer des volumes de données de plus en plus importants, pouvoir caractériser des états attentionnels et des niveaux de performance des pilotes qui ne sont pas explorés dans l’univers de la recherche précisément parce qu’il n’y a pas assez de données. Aujourd’hui, Hinfact compte 25 salariés spécialisés en data science, neurosciences, neuro-ergonomie ( de la physiologie à la psychologie) et en développement d’interfaces web.
D’autres secteurs en dehors de l’aéronautique pourraient-il être intéressés ?
Aujourd’hui, les besoins des compagnies aériennes sont énormes au niveau mondial et cela va bien nous occuper dans les cinq prochaines années ! Mais il est vrai que des diversifications sectorielles sont identifiées : le ferroviaire, le nucléaire, les plateformes pétrolières ou le transport maritime, tous les secteurs qui nécessitent un très fort niveau de sécurité.
Quelles sont les garanties de sécurité des données ?
Nous nous sommes imposés un standard très haut de sécurité. Nous travaillons avec celui qui, pour nous, est le numéro 1 des services cloud sécurités : 3DS Outscale, la filiale cloud de Dassault Systèmes. C’est le seul fournisseur de technologies cloud certifié SecNumCloud, une qualification délivrée par l’ANSS, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. Cette qualification permet aussi de développer des applications pour le secteur de la défense.
L’activité d’HInfact est-elle impactée la crise actuelle de l’aéronautique ?
La sécurité des vols n’est pas concernée aujourd’hui par la crise qui touche le secteur aéronautique puisque c’est une mission de chaque instant. Au contraire. Les pilotes volent moins et doivent encore plus s’entraîner et se former. Les compagnies aériennes doivent encore plus être vigilantes à la question de la sécurité des vols. Nous ne sommes que peu ou pas impactés par la crise.
Propos recueillis par Emmanuelle Durand-Rodriguez